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Après la sortie de notre pays du long tunnel du silence, je n’ai pas vu un hommage public rendu à cet homme hors du commun. J’ai entendu des hommages dans les conversations privées ici et à l’intérieur du pays mais aucune tribune ou un discours hormis les activités strictement personnelles de la fondation Mokhtar Ould Daddah. Certes la fondation est une grande œuvre mais elle ne décharge ni le peuple mauritanien, ni l’Etat du devoir de mémoire vis-à-vis de cet homme qui biologiquement est Ould Daddah mais politiquement et administrativement Ould Mauritanie.
J’ai voulu rendre cet hommage en ce jour du 12 juin simplement parce qu’il marque une étape dans la vie de notre nation. Sous une tente sur une dune déserte se tenait il y a cinquante ans le premier conseil de ministres des ministres de la Mauritanie.
Quelles que soient les circonstances, les époques ou les hommes, ce jour ressemble bien dans la gestuelle à celui d’un autre jour de juin (le 18 juin 1940, l’appel du Général De Gaulle). Un homme seul appelle à la renaissance d’une nation qui allait à la décadence après sa grandeur, un autre plus seul appelait à la naissance d’une nouvelle nation pour tous très virtuelle. L’un et l’autre réussiront leur pari. En 16 rencontres entre 1958 et 1969 et malgré les hauts et les bas des relations bilatérales, ils s’apprécieront.
A) Mokhtar, le patriote
Cet homme appartenant à une région marquée très tôt par la colonisation, interprète et plus tard avocat sorti du moule colonial apparaîtra comme le plus intraitable de ses homologues africains.
- Juillet 1957 : il refuse de venir à la cérémonie du 14 juillet pour recevoir la légion d’honneur. Il voulait simplement le décret de transfert du chef lieu de la colonie de Saint-Louis à Nouakchott. Cette attitude fut mal appréciée par les autorités françaises. Il finit par obtenir la signature le 24 juillet du décret portant transfert à Nouakchott avec une date pour la pose de la première pierre de sa future capitale.
- Mai 1958 : les résolutions du congrès d’Aleg sont un véritable défi d’un pays virtuel et encore sous tutelle de la puissance coloniale : demande d’arrêt de la guerre d’Algérie et la réconciliation avec les pays arabes, l’affirmation de la vocation de la Mauritanie à l’Indépendance et la fin du régime d’autonomie interne, refus d’adhésion à l’OCRS pour ne pas poignarder dans le dos l’Algérie combattante
- Février et juillet 1959 : lors des deux réunions successives de la communauté franco-africaine présidées par le Général De Gaulle en personne, il demande tour à tour la résolution du conflit avec l’Algérie et la fin des expériences nucléaires françaises dans ce pays.
- Décembre 1959 : lors d’une escale à Nouakchott, le Général De Gaulle revient avec insistance sur l’adhésion de la Mauritanie à l’OCRS en montrant tous les avantages que le pays peut en tirer. Moktar lui répond que malgré son désir sincère de lui faire plaisir surtout qu’il est son hôte, il ne peut envisager cette adhésion pour des raisons relatives à la situation en Algérie.
J’ai évoqué ces exemples parce qu’ils se sont passés avant l’Indépendance et qu’ils sont révélateurs du patriotisme précoce du futur président mauritanien.
Après l’Indépendance, les marques de patriotisme sont légion et marquèrent tous les aspects de la vie nationale et la politique extérieure ; ce qui donnera à ce petit Etat longtemps contesté toute l’aura qu’il gardera jusqu’au 10 juillet 1978.
Je ne citerais que les exemples les plus importants :
- 1963 : renonciation à la subvention française d’équilibre ;
- 1965 : les relations avec la Chine et la politique du non alignement ;
- 1967 : la rupture des relations diplomatiques avec les USA et l’Angleterre suite au conflit Israélo-arabe. Forte de son influence, la Mauritanie agira sur les pays africains afin de retirer leur soutien politique à l’Etat d’Israël ;
- 1971 : après la Maghreb, il part à la conquête des pays arabes du Golfe qu’ils lui accorderont toute leur confiance permettant ainsi le déversement d’importants financements tant pour la Mauritanie que pour les grands projets de l’OMVS qui regroupe plusieurs pays frères ;
- 1972 : révision des accords avec la France ;
- 1973 : création de l’ouguiya ;
- 1974 : nationalisation de la MIFERMA.
B) Moktar, l’homme public
Elevé dans un milieu modeste et dans des campements, sa personnalité sera marquée par les randonnées qu’il fera avec son oncle. Il va côtoyer dans ses voyages d’autres Mauritaniens de condition pauvre et vivant de leur labeur (Adwabas). Il rencontrera également la diversité ethnique du pays dans les villages Peulhs, Wolofs, Halpulaars. A la médersa de Boutilimit et surtout dans son internat, il a eu à cohabiter avec des enfants venus des quatre coins de Mauritanie dont certains resteront ses amis à vie. Son affectation au Nord lui permettra de connaître d’autres tribus appartenant à la race maure mais administrées par d’autres pays (Maures d’Algérie, du Maroc et du Sahara Occidental). Son périple de 1951 avec Sidi El Moctar N’Diaye lui donnera l’occasion de connaître les régions rattachées récemment au territoire de la Mauritanie qui appartenaient au Soudan Français. Son départ en Europe lui permit de connaître d’autres races : européens, asiatiques et arabes du Maghreb. Cette fresque sera complétée par le creuset de races que constitue la cité universitaire de Paris. La vie dure qu’il a menée pour faire ses études (manque d’argent, efforts scolaires difficiles) jointe au fond culturel puisé dans son univers bédouin forgera un caractère trempé et spartiate. Toutes ces expériences feront de lui un homme d’Etat avant la création de la Mauritanie.Il gardera de tout temps une grande longueur d’avance sur ses compatriotes. Ainsi le futur Chef d’Etat Moktar Ould Daddah est né avant la naissance de l’Etat qu’il dirigera.
Il montrera très tôt ce sens du service public et de la morale dans ses premiers actes de gouvernement :
- Volonté de faire de son premier gouvernement un gouvernement d’union nationale pour permettre à ses ennemis d’hier d’être associés au pouvoir malgré les critiques de ses partisans.
- Mauritanisation rapide du commandement territorial ;
- Cooptation dans les cabinets ministériels des cadres de la JM accusés par le Gouverneur d’être des anti-français ;
- Remaniement du 1er gouvernement pour renforcer l’unité nationale en intégrant plus de ministres de la vallée et des régions les plus reculées du pays ;
- Durant tout son régime, la sanction et la récompense étaient les maîtres- mots de l’ascension et de la chute dans l’administration ;
- Les deniers publics étaient sacrés. Les rares hommes qui y ont touché étaient sanctionnés et n’ont jamais repris service ;
- Le critère de compétence et d’intégrité a remplacé progressivement le dosage ethnique et tribal.
Il est arrivé des moments où des familles avaient chacune deux fils autour de la table du conseil des ministres ;
- Le train de l’Etat était sobre depuis le bureau du Chef de l’Etat jusqu’à celui du Chef d’Arrondissement ;
- La discipline et la rigueur morale étaient les mots clés dans la marche de l’Etat. Quelle que soit l’affection qu’il porte à une personne ou les liens de parenté qu’il a avec elle, elle n’est jamais à l’abri de la sanction. Son mentor politique, son bienfaiteur pendant sa scolarité, l’homme qui l’a tiré de plusieurs mauvais pas a été démis de ses fonctions pour avoir assisté une réunion à caractère tribal. Son frère ministre n’ayant pas obtempéré rapidement aux
ordres de son chef hiérarchique, le ministre d’Etat fut limogé quelques heures plus tard et ne reprit service qu’après le coup d’Etat de 1978. Le contrôle d’Etat composé de deux vieux fonctionnaires connus pour leur probité faisait trembler toute la République. L’infraction constatée, ils relevaient le fonctionnaire indélicat par message et demandaient la mise en route de son remplaçant sans compter l’injonction de payer les sommes dues dans les quarante huit heures, faute de quoi, l’incarcération était immédiate. Pour les détournements majeurs et avérés, Moktar demandait le dossier du fonctionnaire et y portait la mention suivante : «ne plus confier à ce fonctionnaire des responsabilités pécuniaires ».
- Les meubles de bureau, de maison et les voitures de fonctionnaires devaient être du modèle le plus ordinaire et leur renouvellement ne se faisait qu’après de longues années (voir l’état des voitures laissées par les Ministres le 10 juillet).
- Aucun fonctionnaire ayant une maison personnelle ne pouvait occuper un logement de fonction ou un logement louer par l’Etat. La mesure ayant été rappelée par circulaire en 1975, certains hauts fonctionnaires ont dû déménager dans des deux pièces de la BMD ou des maisons encore en chantier. Le président de la République, le président de l’Assemblée qui occupaient deux bâtiments de fonction sont restés en place mais avaient donné l’usufruit de leurs maisons au Trésor Public.
- Un ministre limogé et rétrogradé à un poste de préfet dans une région éloignée du pays ressortait de son bureau après une longue entrevue avec la conviction que la survie de la Mauritanie était conditionnée par les réalisations qu’il pourrait faire dans son nouveau poste ;
- Les fonctionnaires méritants recevaient souvent des lettres de félicitation ou distingués par une médaille. Ces lettres et ces distinctions n’étaient pas le fait d’une complaisance loin de là;
- En 1967, il obligea la SOMIMA à confier à un groupement de petits entrepreneurs mauritaniens, la construction de la cité minière d’Akjoujt.
Pour la plupart analphabètes et ayant peu de matériel ils sortiront de ce chantier fortunés et expérimentés. Ils accaparèrent désormais tous les grands travaux de ce secteur vital dans lequel les sociétés étrangères n’eurent plus de place. Ainsi le secteur des travaux publics mauritanien est venu rejoindre ceux du commerce général et du transport qui l’ont déjà été. Après la création de l’ouguiya, le reste des fonds de commerce détenus par des étrangers furent rachetés par des hommes d’affaires nationaux.
- Un vrai capital national est né grâce au mérite et à l’encouragement public et non aux passe-droits, la fraude du fisc et de la douane. Gare à ceux qui veulent frauder le fisc ou la douane et aux fonctionnaires qui tentent d’y aider. Quelques têtes tomberont en essayant de s’y aventurer. Entre le négoce et le service public, Moktar avait mis des lignes rouges que personne ne pouvait s’aventurer à franchir.
C) Moktar l’homme tout court
D’après les personnes qui l’ont côtoyé, Moktar était un exemple de modestie et de force de caractère. Jamais il n’a traité un collaborateur ou un adversaire par le mépris. Ses rapports avec les hommes, il les mesurait à l’aune du patriotisme et du sens qu’ils ont du service public. Son comportement quelques soient les circonstances, était empreint de courtoisie qu’il s’agisse de son planton, d’un notable de l’intérieur ou de son ministre. On raconte que Moktar après avoir épuisé les parapheurs, sonnait pour appeler son planton.
Il l’accueillait par un éternel « bonjour Vlane, comment vont Mme et les enfants. Peux-tu s’il te plaît m’aider à faire parvenir ces parapheurs à Vlane».
Avant la grande urbanisation de la ville des années 70, Moktar accompagné simplement de son chauffeur venait rendre visite à telle famille qui avait un malade ou mangeait simplement chez l’un de ces fonctionnaires.
Moktar n’avait pas d’amour propre quand il s’apercevait que les idées de ses adversaires étaient bonnes pour le pays. Il les faisait siennes et appelait leurs auteurs à venir mener leur combat au sein de l’appareil d’Etat. Cette expérience, il la tenta avec l’entente, l’AJM, la NAHDA, l’UNERIM, le PKM. Pendant sa période à la tête de l’Etat et avant sa mort, il se réconcilia avec bien des adversaires.
Moktar a eu une revanche posthume. Vous pouvez constater que tous les hommes qui ont exercé la fonction de Chef d’Etat depuis le 10 juillet ont été à un moment donné de leur vie ses collaborateurs. L’élection présidentielle organisée par le régime de transition a été une finale entre deux de ses plus proches collaborateurs prisonniers en 1978 de la junte qui l’a déposé.
Je rends tout ému cet hommage à cet homme que je n’ai pas connu et à son épouse que j’ai rencontré pour la première fois, il y a de cela deux mois fortuitement. Je n’ai livré que le peu de choses qui m’ont été racontées par certaines personnes qui ont eu la chance de travailler directement avec lui.
Je ne pourrais terminer cet hommage sans suggérer :
A) L’Etat mauritanien devait ériger un Musée Moktar Ould Daddah. Il pourrait se situer dans l’Ancienne maison qu’il habitait et qui lui servait de bureau en face du MDRE (bloc manivelle). C’est là où se trouverait la première pierre posée de la Capitale. Des grandes maquettes du hangar où ont été proclamées l’Indépendance et l’école 8 où s’est tenue la première réunion de l’Assemblée Nationale, pourraient tenir dans l’enceinte de cette maison.
B) Une commission devrait proposer à l’Etat un cours que l’IPN introduirait dans les manuels scolaires sur Moktar et la naissance de l’Etat mauritanien ;
C) L’Etat devrait conférer à la Fondation Moktar Ould Daddah, le statut juridique d’organisme d’utilité publique ;
A l’heure où j’écris cet hommage, le débat politique et les comportements publics sont bien loin des valeurs qu’ont incarné nos aînés qui disposaient de moins d’atouts intellectuels et de conditions matérielles plus modestes. Ceci exige de nous en ce moment précis de notre histoire de marquer une pause pour :
- Laisser de côté nos égoïsmes, nos replis tribaux, régionaux et ethniques ;
- Donner une image de service public moins tonitruante, plus morale et plus modeste ;
- Rêver un peu plus à un Etat où il y a un idéal de justice et d’équité ;
- Faire plus de place pour notre pays et nos citoyens dans notre cœur et non dans nos discours de circonstance, de propagande politique, de recherche permanente de postes et d’argent ;
- Ayons foi que notre situation actuelle n’est pas irréversible et qu’elle n’est que le fruit de notre démission collective.
- Transformons cette forte tendance que nous avons à nous entredéchirer en un combat d’ensemble pour changer en mieux le sort de notre peuple.
En un mot « FAISONS ENSEMBLE LA PATRIE MAURITANIENNE »
Nouakchott, Juin 2007
PS :
Si j’ai utilisé tout le long du texte Mokhtar sans l’accompagner du titre de président, c’est parce que le commun des Mauritaniens et les personnes que j’ai rencontrées, l’appelaient ainsi.
Par, Brahim Salem Ould Bouleiba
Le Calame 13-02-2008
16-20 Février 1948 & 14-15 Février 1973
La fondation de l’Union progressiste de Mauritanie (U.P.M.) & La signature des nouveaux accords de coopération
A Rosso, du 16 au 20 Février 1948, se tient le premier congrès politique au sens moderne du terme, de l’histoire mauritanienne. Rosso, l’agglomération la plus importante d’un territoire dont les trois quarts de la population sont alors nomades et qui n’a de chef-lieu qu’à l’extérieur (Saint Louis du Sénégal)(1) . Il s’agit pour tous les éléments dits «traditionnels» du pays de se regrouper pour mettre fin à une agitation réprouvée par eux et par l’administration coloniale. A l’occasion de la visite du président de la République française – Vincent Auriol, élu socialiste – à Saint-Louis, le 30 Mars 1947, «l’aristocratie mauritanienne, aussi bien temporelle que spirituelle» (2 ) se rencontre et se concerte. La création d’un Le Calame 13-02-2008
16-20 Février 1948 & 14-15 Février 1973 à Saint-Louis, le 30 Mars 1947, «l’aristocratie mauritanienne, aussi bien temporelle que spirituelle» (2 ) se rencontre et se concerte. La création d’un mouvement, son nom et l’adoption de statuts provisoires sont décidées à l’unanimité. L’U.P.M., provisoire, est censément apolitique mais se heurte au parti régnant en France et en Afrique, la S.F.I.O., les socialistes d’alors. Premier succès, dès les élections complémentaires au conseil général (la future assemblée territoriale): elle enlève à l’automne les deux sièges à pourvoir.
Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, la métropole française a transformé le statut de ses colonies en territoires d’outre-mer de la République et faisant partie, au titre de celle-ci, d’une Union française, nouvellement créée. A la clé, des élections aux assemblées parlementaires siégeant à Paris. C’est Horme Ould Babana qui a gagné la première élection pour laquelle la Mauritanie était une circonscription à elle seule (3). Auparavant, elle était englobée dans celle formée par le Sénégal. Le nouveau député est controversé – à son époque et aujourd’hui. Pour les uns, c’est un agitateur, ambitieux et tribaliste. Pour les autres, c’est le premier nationaliste moderne quoique après sa défaite finale en 1956, il ait rallié la revendication marocaine. Mokhtar Ould Daddah l’accueillera en 1976, peu avant qu’il meurt, finalement de retour au pays. La vérité historique est probablement entre les deux et l’agitation tient sans doute à la confusion, dont l’élu n’était pas seul responsable, qui fut faite entre ses partisans et une possible novation des mœurs administratives coloniales, faisant du député – désormais – le dispensateur de beaucoup de grâces. Au point qu’Horme dût publier – le 21 Août 1947 – une circulaire rappelant «à ses fidèles que la nomination aux emplois, les augmentations de solde, l’attribution de véhicules, fusils d’honneur, cartes de circulation, etc.… relèvent exclusivement de l’autorité administrative». Il avait pris l’étiquette socialiste, le parti alors dominant à Paris, ce qui avait déterminé – le 3 Novembre 1947 – l’élection par le Conseil général d’un représentant à l’Assemblée de l’Union française : Di Ould Zein, candidat investi par les socialistes français sur Dembélé Tiecoura(4 ) sans investiture; mais l’élection n’est pas validée et sur ces entrefaites arrive un nouveau gouverneur : Henri de Mauduit, vite remplacé par un intérimaire (5 ). En sorte que le personnage permanent est devenu le député, d’abord bien vu par Paris puis plus mal.
Le congrès se déroule en présence des plus importants personnages de l’époque : Abdallahi Ould Cheikh Sidya et Abderrahmane Ould Bakar, émir du Tagant depuis 1917. L’orientation est donné par le refus d’une affiliation à la S.F.I.O. (les socialistes français et aussi sénégalais) proposée par Dembélé Tiecoura(6 ). Et par le choix de significatifs présidents d’honneur : le général de Gaulle, Abdallahi Ould Cheikh Sidya, Abderrahmane Ould Bakar, Mamadou Bâ. Le bureau compte soit des personnalités traditionnelles, importantes, quoique très jeunes, soit des hommes d’avenir sans qu’on le devine encore (7). Le ton est donné par la courte prise de parole du grand marabout de Boutilimit : «Notre union est nécessaire pour les raisons suivantes. La sauvegarde de nos bonnes traditions et de notre sainte religion. L’expression de notre indéfectible attachement à la France et de notre éloignement de toute attitude subversive. L’expression surtout de notre union entre frères : Maures, Toucouleurs, marabouts, guerriers. Nous regrettons sincèrement que nos compatriotes de l’Assaba, d’Aioun -el-Atrouss ne soient aujourd’hui au milieu de nous ». Abderrahmane Ould Soueïd Ahmed précise : «Abdallah a exprimé notre pensée à tous. Nous pouvons toutefois ajouter que l’ ensemble des Toucouleurs, Maures, guerriers, marabouts, réunis aujourd’hui constitue les véritables assises de la Mauritanie»… (8 ) Mohamedoun Ould Daddah, et son jeune fils, Mokhtar, se sont dépensés pour l’organisation de la manifestation, mais le second choisit de s’absenter durablement du pays en partant poursuivre ses études en métropole.(9 )attitude subversive. L’expression surtout de notre union entre frères : Maures, Toucouleurs, marabouts, guerriers. Nous regrettons sincèrement que nos compatriotes de l’Assaba, d’Aioun -el-Atrouss ne soient aujourd’hui au milieu de nous ». Abderrahmane Ould Soueïd Ahmed précise : «Abdallah a exprimé notre pensée à tous. Nous pouvons toutefois ajouter que l’ ensemble des Toucouleurs, Maures, guerriers, marabouts, réunis aujourd’hui constitue les véritables assises de la Mauritanie»… (8 ) Mohamedoun Ould Daddah, et son jeune fils, Mokhtar, se sont dépensés pour l’organisation de la manifestation, mais le second choisit de s’absenter durablement du pays en partant poursuivre ses études en métropole.(9 )La manifestation est sans lendemain, mais elle provoque l’organisation, par le député «régnant» d’une Entente mauritanienne au niveau de sections locales(10 ). Ni à Paris, ni à Saint-Louis, une vie politique n’est souhaitée. A sa prise de fonctions, Rogué, nouvel et éphémère gouverneur, nommé pour «faire» les élections, signe une circulaire(11 ) : « j’ entends que tout ce grenouillage autour de la ’politique’ disparaisse » – et en votant une nouvelle loi électorale pour le renouvellement de l’Assemblée nationale, le Parlement français adopte une proposition de loi rendant le suffrage «quasi-universel» dans les territoires d’outre-mer, aveu rétrospectif… La stabilité politique est en réalité assurée par l’inamovible secrétaire général du Territoire, Georges Poulet : la fonction a été précisément créée – 20 Juillet 1949 – pour contourner la succession trop rapide des gouverneurs, qui ne cessera qu’avec la promotion de Pierre Messmer du commandement de l’ Adrar à celui de la colonie – le 20 Juin 1951 – une fois acquis le renversement d’Horma Ould Babana.
Les accords de coopération avec la France
Les 14 et 15 Février 1973, le secrétaire d’Etat français à la Coopération, Pierre Billecocq vient à Nouakchott signer de nouveaux accords de coopération. Les précédents avaient été conclus à l’Hôtel de Matignon, à Paris, le 19 Juin 1961, en forme solennelle d’un traité entre les deux Etats «tenant compte des liens particuliers d’amitié qui les unissent». Ils étaient sur le modèle de ceux passés entre l’ancienne métropole et ses anciennes colonies d’Afrique subsaharienne, mais au contraire de tous les autres nouveaux Etats, la Mauritanie avait souhaité que la négociation et la signature ne précèdent pas le transfert des compétences et la déclaration d’indépendance. Mokhtar Ould Daddah avait voulu enlever au Maroc et à ses alliés au sein des Nations Unies tout argument faisant douter de la réalité de la souveraineté de Nouakchott. Douze ans plus tard, il peut dire que «nous repartons sur des bases nouvelles qui maintiennent vivant le passé positif et permettent aux Etats souverains d’envisager pour l’avenir des relations détendues et sans arrière pensées».Il s’agit d’une mise à jour que le temps écoulé peut expliquer. Elle est présentée comme la traduction de l’option politique pour une voie mauritanienne, dans les domaines culturel et économique, différente(12 ), mais la révision des accords conditionne surtout – pour le gouvernement de Mokhtar Ould Daddah – la disposition des moyens pour deux décisions révolutionnaires, qu’alors personne ne soupçonne : une monnaie indépendante et la nationalisation de Miferma. Le contexte importe : depuis un an, l’équipe dirigeante (B.P.N. et gouvernement) a été presque totalement renouvelée. Sur seize ministres, onze sont universitaires et sept d’entre eux font leur entrée aux affaires(13 ). Moktar Ould Daddah vient d’assurer la présidence de l’Organisation de l’Unité africaine et il a obtenu du Conseil de sécurité– pour la seule fois de son histoire jusqu’à aujourd’hui – qu’il siège en Afrique pour traiter des drames du continent(14 ). L’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal vient de se substituer au comité inter-Etats, malgré l’absence de la Guinée(15 ). Enfin, la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest, bien plus ambitieuse que l’union douanière issue de la colonisation, vient d’être créée (16). Bailleurs de fonds, le colonel Kadhafi puis le roi Fayçal ont, chacun pour la première fois, visité le pays(17 ). Dès le 28 Novembre 1971, faisant rapport sur l’état de la Nation, Mokhtar Ould Daddah avait «annoncé la couleur» sans que cela ait été commenté : les deux exigences d’indépendance culturelle et d’indépendance économique.
La négociation avec le gouvernement français sera laborieuse, quoique les débuts soient heureux. Dès le 30 Juin, le président Georges Pompidou reçoit Hamdi Ould Mouknass, le ministre des Affaires étrangères «avec la plus grande compréhension», et –le 3 Juillet– Ahmed Ould Sidi Baba commente la démarche mauritanienne : ce n’est « pas un rejet sous quelque forme que ce soit de la coopération avec la France … elle ne porte pas le germe de la destruction». MIFERMA est un autre sujet. Pas de remplacement de la France par un autre pays. Coïncidence heureuse : le 5, à Paris, l’ancien commandant du cercle de l’Adrar puis gouverneur de la Mauritanie et haut-commissaire général en A.O.F., Pierre Messmer est nommé Premier Ministre. Du 18 au 20 Septembre, Pierre Billecocq, secrétaire d’Etat à la Coopération, séjourne à Nouakchott : «je suis prêt à regarder les choses très simplement et à faire aboutir nos consultations, nos négociations et nos conversations de façon comme il est normal que nous transformions un certain nombre de choses, les mettions à jour et trouvions d’autres formules, s’il le faut. Je suis très pragmatique. Pas de juridisme à la française. De la souplesse, de la compréhension et du pragmatisme» et, à son départ, il précise : «nous avons convenu que l’aide que la France normalement apporte à ce pays doit être l’occasion pour d’autres pays étrangers de venir aider au développement de la Mauritanie». C’est avec le président Mokhtar Ould Daddah, puis avec Sidi Ould Cheikh Abdallahi (18) et Hamdi Ould Mouknass qu’il s’est entretenu.
Le Président de la République, de tous les négociateurs mauritaniens, est le plus rude(19 ). Caducité des accords de 1961 au 31 Décembre 1972. Révision du traité et suppression de tous les autres accords au profit d’un nouvel accord culturel et d’une novation des relations économiques, financières et monétaires. Tout en souhaitant «les relations les plus étroites possibles avec la zone franc» et la poursuite de l’aide française, la Mauritanie entend concrétiser «la souveraineté nationale mauritanienne par la création d’une monnaie nationale et la maîtrise complète de sa politique de crédit» (20). Menés du 19 au 22 Décembre, à Nouakchott, des entretiens «exploratoires » mettent face à face Jean Herly, directeur du service de la Coopération culturelle, scientifique et technique au Quai d’Orsay, et Ahmed Ould Daddah, directeur général de la SONIMEX et ancien secrétaire général de l’Organisation des Etats riverains du fleuve Sénégal : l’expert. Mais, à dessein, la Mauritanie montre qu’aucune relation n’est plus exclusive : du 23 au 26 Décembre, se tiennent les consultations périodiques avec l’Algérie. Le communiqué commun indique que, relevant «la qualité exceptionnelle de leurs rapports politiques, les deux pays explorent toutes les possibilités d’institutionnaliser leurs relations en vue de leur donner une dimension nouvelle». La Mauritanie décide de «confier à l’Algérie le soin d’entreprendre les démarches nécessaires en vue de son adhésion aux divers organismes de coopération mis en place afin d’apporter sa contribution à l’édifice de l’ensemble maghrébin». Alger et Nouakchott enfin réaffirment «le droit des pays en voie de développement à exploiter leurs richesses nationales au bénéfice exclusif de leurs peuples et la nécessité pour la communauté internationale d’instaurer des échanges économiques justes et équilibrés».
L’ambiance ainsi créée, il faut aboutir : le ministre des Finances, Soumaré Diaramouna, est dépêché chez le président Houphouët-Boigny. Celui-ci peut-il obtenir un assouplissement de la position française sur la question monétaire? Le 1er Janvier 1973, la Mauritanie donne à l’Union monétaire Ouest africaine, le préavis de six mois statutaire pour la quitter. Parallèlement à une négociation franco-malgache, à Paris, Ahmed Ould Daddah conduit la discussion monétaire. Première session du 8 au 12 Janvier. Puis du 15 au 19 Janvier, la seconde voit le négociateur rejoint par le chef d’état-major national. Ordre du jour pour finaliser, celui donné par Mokhtar Ould Daddah, le 28 Novembre précédent : révision du traité, suppression des autres accords, réaménagement de l’accord général de coopération, nouveaux accords pour la formation technique des militaires, nouvel accord culturel. Interruption du 20 au 24 : Ahmed Ould Daddah quitte Paris pour rendre compte à Nouakchott au Chef de l’Etat, retour de Libye. Celui-ci est intransigeant : le 1er Février, la caducité du décanat de droit exercé par l’ambassadeur de France place Feng Yu-kieou, ambassadeur de Chine, doyen du corps diplomatique. Dès le lendemain, suspension des conversations franco- mauritaniennes : pas d’accord sur le compte d’avance au Trésor français que demande la Mauritanie ; les négociateurs se donnent huit jours de réflexion. Le 5, à l’occasion d’un entretien avec Le Monde, Mokhtar Ould Daddah qui «était disposé à maintenir le statu quo pendant la durée des pourparlers, à condition toutefois que ceux-ci ne durent pas au-delà de la fin Janvier», déclare effective la dénonciation des accords : il vaut peut-être mieux que «la décolonisation se manifeste par une rupture, même si celle-ci n’est pas définitive ». Le dénouement est alors rapide : pas de compromis sur la coopération monétaire ni la coopération militaire, échange de lettres se substituant à l’ancien traité de coopération, accord en matière économique et financière (l’aide française est maintenue mais étudiée au cas par cas, sans caractère de régularité : depuis 1960 l’aide bilatérale française au développement mauritanien s’était monté au total à 17,5 milliards de francs CFA), échanges commerciaux selon le régime prévu par la Communauté européenne, maintien de la commission paritaire pour suivre relations économiques, accord de coopération culturelle et équivalence des diplômes, mise à disposition de personnel d’assistance technique. La novation tient en fait à ce qu’il n’y a plus d’accord de défense et à ce que la Mauritanie quitte la zone franc. La France s’est crispée (la direction du Trésor… craignant un mauvais et contagieux exemple) et a refusé le compte d’avance sollicité. Ahmed Ould Daddah a fait valoir, en vain, l’excédent commercial annuel de 9 milliards de francs CFA et l’équilibre de la balance des paiements…
Péroraison le 15 Février par Hamdi Ould Mouknass : «sans renier le passé ni méconnaître ses apports dans la confection de la nation mauritanienne, nous demeurons convaincus que l’évolution du monde actuel et de notre pays, nos réalités présentes et l’avenir de notre amitié appelaient ces profonds changements», mais, dans l’esprit de certains, le doute subsiste encore sur l’émancipation mauritanienne. Le 10, Le Monde a publié une correspondance de deux travailleurs mauritaniens en France Bah Mahmoud et Si Abdallah : «il s’agit de troquer le vieux boubou colonial contre un nouveau boubou colonial »; MIFERMA, SOMIMA et IMAPEC continuent d’exploiter le pays. Il faut donc davantage… il y aura davantage, mais selon un cheminement que vivait déjà à la fondation de l’Union progressiste, dans ses méditations de Fort-Gouraud, le fils de bonne famille, apparemment béni-oui-oui.
Ould Kaïge
Kofi Annan affligé par le décès de Moktar Ould Daddah, père de l´indépendance mauritannienne
16 octobre - Le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, s'est déclaré affligé d'apprendre le décès de Moktar Ould Daddah, qui a mené la Mauritanie à l'indépendance et a assumé la fonction de premier Président de son pays de 1961 à 1978.
Quoique l’on dise de bien du père incontesté de la nation, on n’aura jamais tout dit !
Bamba Ould Samory Soueidatt